Invitation à dîner, découverte insolite des menus qui ont marqué les grandes tables
#63 - Janvier / Février 2020 - Patrimoine

Invitation à dîner, découverte insolite des menus qui ont marqué les grandes tables

Véritable invitation gastronomique, le menu nous livre les secrets des arts de la table et des dîners fastueux. En Principauté, au travers de la découverte de ces documents conservés par le Fonds Patrimonial de la Médiathèque de Monaco, s’animent les festins d’antan, repas officiels et prestigieux étoilés. À table ! 

La petite histoire du menu 

Documents à vocation éphémère, fort heureusement précieusement conservés par certains collectionneurs, les menus témoignent aujourd’hui de l’évolution des pratiques culinaires, et nous invitent à la table d’évènements festifs, parfois historiques mais toujours savoureux. Si de nombreux spécialistes s’accordent pour dire que le menu fut inventé en Chine, c’est le développement de l’imprimerie au 19e siècle qui est à l’origine de son apparition sur les plus belles tables de France. Le menu participe à l’art gastronomique en étant une délicieuse mise en bouche littéraire, et parfois artistique. Il a une fonction pratique tant pour celui qui l’élabore que celui qui le découvre. Aujourd’hui, conservé dans les bibliothèques, il devient un dialogue fascinant entre patrimoine et gastronomie. 

À la découverte des modes culinaires 

Inventé lors du passage du service à la française (buffet) au service à la russe (à table), de nombreux critiques estiment que le menu avait pour vocation première d’aider à la préparation du repas, et pour les convives de voir quels plats ils pourraient sauter lors de repas trop copieux, telle une table des matières qui permettrait à ses lecteurs d’aller directement au chapitre suivant. Sur les menus plus anciens, on y retrouve d’ailleurs cet ordre codifié dans l’énoncé des plats : le potage permet une entrée en matière légère, suivi de hors-d’œuvre qui ont mis le convive en appétit. Les entrées, dont le choix est souvent varié, introduisent le « rôt » qui désignait le gibier - faisans, grives, perdreaux, servi en plat principal, accompagné de primeurs. Après l’entremet, les convives, rassasiés, dégustaient le dessert, qui était souvent décliné en plusieurs douceurs. Il n’était pas étonnant de voir plus d’une vingtaine de plats sur un « petit » menu ! 

Le menu sous toutes ses formes ! 

Sur ces papiers jaunis, on peut y lire une écriture élégante et, parfois, de belles illustrations viennent agrémenter l’énoncé des plats. On y découvre aussi d’anciens établissements de la Principauté comme l’hôtel de la Condamine qui proposait le 17 mars 1904 des plats ensoleillés jusqu’à leur énoncé. Ainsi, les « Rougets de la Côte Azurée » accompagnent « une Salade de Beau Soleil ». La littérature recherchée de certains menus participe à l’esprit du lieu ou au thème de la fête. Un menu plutôt coquin proposant à ses convives des mets audacieux traduit bien l’ambiance de la soirée…

Aux jeux de mots divertissants se mêle l’originalité des formes des menus qui se prêtent à toutes les déclinaisons ! Le clown en bois espiègle et rieur autour duquel était roulé le menu offert aux convives du Festival International du Cirque de Monte-Carlo de 1984 en est la parfaite illustration. Au fil du temps, le menu devient ainsi un objet souvenir, à conserver précieusement en mémoire d’un instant culinaire mémorable. Au mois d’avril 1956, l’Hôtel Métropole décline une série de menus d’un dîner gastronomique « en souvenir du mariage de S.A.S. le Prince Rainier III de Monaco » sur le thème des chansons enfantines. Tour à tour, les repas de la semaine s’accompagnent des partitions de « Joli coquelicot » ou de « Meunier, tu dors » pour célébrer cet évènement historique. Ces menus originaux marquent aussi de leur empreinte l’histoire de grands évènements.

Dans les coulisses des plus prestigieux évènements 

« La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent » indiquait Brillat-Savarin. Témoins d’évènements majeurs, les menus laissent une trace indélébile de repas historiques parfois oubliés. En Principauté aussi, le menu « porte la marque de l’histoire »(1). Qui se souvient du XIe Congrès Universel de la Paix, le 6 avril 1902, bien avant la création de la Société des Nations ? En marge de cet évènement, un banquet est donné à l’Hôtel de Paris et son menu nous convie à la table des officiels. Sur un autre plus ancien, on peut y découvrir la ribambelle de plats proposés lors d’un repas du Gouvernement de Monaco en 1900 où « un Baron d’Agneau aux Primeurs » accompagnait « des œufs de Foie Gras en Belle Vue » et se prêter au jeu d’imaginer les sujets politiques qui ont accompagné ce moment gastronomique…

Les menus font redécouvrir des évènements singuliers organisés par la Mairie de Monaco qui font revivre le passé. En 1936, sous le patronage de la « Municipalité Monégasque », la journée « Escoffier » est organisée à l’Hôtel de Paris. Son menu célèbre le grand chef et reprend deux de ses fameuses recettes « Mostèle Cambacérès » et le « Biscuit Glacé Princesse Antoinette ». En 1946, c’est au tour de la Musique Municipale d’être célébrée par un banquet pour fêter son 25e anniversaire à l’Hôtel des Princes de Monte-Carlo comme en témoigne son charmant menu. Un autre menu attise la curiosité : sur sa couverture, on y découvre le programme de la « quinzaine monégasque » organisée par la Commission Municipale des Fêtes et Sports d’avril à mai 1935. Ce menu vient rappeler cet événement exceptionnel organisé par la Mairie autour de « grandes fêtes folkloriques ». 

Revivre les traditions 

À l’approche des fêtes, il est toujours merveilleux de se replonger dans les traditions. En Principauté, les dîners de la Saint-Nicolas organisés par le Comité des Traditions Monégasques reprennent en langue monégasque les plus savoureux plats traditionnels du Rocher. Le menu de cet incontournable rendez-vous, le 6 décembre 1937 au Restaurant Conto’s, se termine par un texte de Louis Notari « Candu büvu prun de vin » qui célèbre l’esprit festif et hédoniste des repas traditionnels. C’est le parfum des plats savoureux de notre enfance qui semble s’échapper des papiers préservés. « Sardina », « Supa aù Pistu » « Fugassa Munegasca » et autres saveurs du Pays sont les incontournables des menus des festins monégasques. 

« Si la Gastronomie est l’art d’utiliser la nourriture pour créer le bonheur »(2), le menu en est l’exquise annonce et permet aujourd’hui, à ceux qui les découvrent, de faire un voyage historique et gastronomique des plus savoureux… 

 

Références bibliographiques

• À la table des diplomates, l’histoire de France racontée à travers ses grands repas, par Laurent Stefanini 

• Le menu, une invention du XIXe siècle, par Maurizio Campiverdi 

• Interview de Caroline Poulain, conservatrice patrimoniale aux bibliothèques municipales de Dijon et spécialiste de l’histoire des menus dans le magazine Sud Ouest Gourmand, 27 mai 2014

 

Cet article a été écrit en collaboration avec Dominique Bon, Responsable du Fonds Régional. Les documents sont consultables au Fonds Patrimonial de la Médiathèque de Monaco sur rendez-vous.

 

(1) Caroline Poulain, spécialiste de l’histoire des menus. (2) Théodore Zeldin

 

 

Autres articles "Patrimoine"