De nombreux caricaturistes immortalisent les scènes de vie sur le Rocher au temps de la Belle Époque. Parmi eux, Georges Goursat, plus connu sous son nom d’artiste « Sem » fait de la Principauté son plus grand terrain de jeux à l’âge d’or de la caricature.
Né en 1863, périgourdin d’origine, Georges Goursat se passionne dès le plus jeune âge pour l’art du croquis. Observateur acerbe, un brin incisif, le jeune Georges fait ses débuts comme caricaturiste dans la presse locale. Le croqueur de silhouette s’installe à Bordeaux, puis Marseille pour devenir un vrai parisien de cœur en 1900, année de l’Exposition Universelle. Il prend le nom de Sem et croque à plein papier la vie mondaine. Son premier album Le Turf, que le Tout-Paris s’arrache pour y découvrir son portrait, lui ouvre la porte du succès. Les hauts-lieux de la bourgeoisie parisienne y sont esquissés autour d’un crayonné qui laisse deviner les traits de caractère de ses personnages et l’atmosphère de toute une époque.
Réinventer l’art du crayonné
Ses personnages cernés de noir qui s’animent sur ses albums démontrent le style tout à fait novateur d’un artiste qui s’est, avec le temps, écarté de la caricature commune aux dessinateurs de presse de l’époque où une grosse tête surmonte souvent un petit corps. Le style singulier de Sem s’apparente à celui d’un photographe, capable de capter l’instant et rendre une scène de la vie quotidienne fascinante, amusante et parfois pleine de poésie. Ces personnages, eux-aussi, sont décryptés pour révéler un trait de caractère, une humeur où le talent du portraitiste a su déceler les secrets de leurs âmes pour les poser là sur une feuille de papier…
Dans le sillage des grands caricaturistes de l’époque qui l’inspirent comme Cham, Sem s’adonne aussi aux affiches publicitaires dans la lignée de Chéret, Cappiello ou Mucha. Si d’autres contemporains comme Cam, parent de Léo Ferré, ou Mich s’empareront de leurs crayons pour immortaliser avec humour et dérision la vie sur le Rocher, Sem en fera l’un de ses sujets de prédilection.
Sem et Monaco
Au cœur de la vie mondaine, Sem et ses carnets investissent les grandes institutions parisiennes des courses de l’Hippodrome de Longchamp aux tables nocturnes de chez Maxim’s. Il séjourne également dans les lieux de villégiature du gotha de l’époque qui le conduise à Deauville et bien entendu… à Monaco ! Nombreux de ses amis, Sacha Guitry, Colette, Jean Cocteau, Coco Chanel ou Paul Valéry sont attachés aux charmes de la Côte d’Azur et invitent Sem à y partager des moments privilégiés. Le Journal de Monaco du 17 janvier 1905 l’indique : « Le célèbre caricaturiste Sem, récemment promu chevalier de la Légion d’honneur, s’est fixé pour quelques temps à Monte-Carlo». Sem, amoureux indéfectible du Rocher y dépeint avec humour sa vie mondaine au travers de trois albums : Monte-Carlo 1ere série (1905), Monte-Carlo 2e série (1909) et Sem à la Mer Bleue (1913). Les nombreux divertissements en Principauté autour de son fabuleux Casino, de l’Opéra de Monte-Carlo et de ses prestigieux établissements offrent à l’artiste des sujets tout à fait rafraîchissants. « Cet album est consacré aux types de Monte-Carlo… Monte-Carlo (…) c’est la haute vie élégante des grandes capitales des deux mondes, condensée là pendant la saison sur ce rocher magique » indique-t-il dans la préface de son album. C’est ici que Sem excelle dans l’art de croquer célébrités, élégantes et sportsmen, joueurs de casino…
Les joueurs de casino
L’effervescence des tables des joueurs inspire l’artiste qui s’est amusé à esquisser les personnalités que l’on peut y rencontrer. Il en a dépeint leur caractère, parfois espiègle, enjoué ou étonné. L’une de ses célèbres scènes « la roulette » illustre parfaitement l’ambiance aux tables de jeux où, à l’exaltation des joueurs, se mêle la curiosité des badauds qui se pressent derrière eux pour voir qui gagnera le gros lot !
Les sportsmen
Le sport fascine Sem dès ses débuts. C’est d’ailleurs à Paris, dans les tribunes des courses hippiques qu’il se fait connaître et commence à côtoyer les mondains. À Monaco, il aura plaisir à façonner le portrait d’inspirants sportifs comme le tennisman Laurence Doherty au Monte-Carlo Country Club, l’organisateur des meetings de canots automobiles Georges Prade, Lord Savile au tir aux pigeons ou encore Jacques Faure, co-fondateur de l’aéroclub de France qui « réalise plusieurs essais de dirigeables à Monaco dont l’un se termine par un atterrissage mouvementé sur le Musée océanographique de Monaco ». Dans l’album Sem à la mer bleue, on y retrouve même l’aviateur Louis Blériot.
Les personnalités
En janvier 1913, le célèbre tabloïd anglais The Bystander présente dans un encart intitulé « Sem on the Riviera », les personnalités croquées par l’artiste… Attablé au Ciro’s, le milliardaire Gordon Bennett, propriétaire du journal, fume son cigare, tandis qu’au Métropole, Messieurs Santos Dumont (pionnier de l’aviation), Henri Rochefort et le Duc de Dino s’apprêtent à déjeuner. Des personnalités emblématiques de Monte-Carlo, comme le Directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, Raoul Gunsbourg ou le Président de la SBM, Camille Blanc, seront des personnages récurrents de ses albums dont le portrait parfois satirique sera illustré par des métaphores pleines d’humour. À ces personnalités se mêlent les figures aristocratiques de l’époque comme le Roi Léopold II, le Grand Duc Michel de Russie, la Baronne de Beauchamps ou encore le premier président du Comité Olympique Monégasque, le Comte Albert Gautier-Vignal. Et puis, sur l’un de ses dessins, dans un recoin de l’image, on peut apercevoir un personnage espiègle, curieux qui observe cette scène comme au théâtre… Une drôle de mise en abîme où Sem dessine Sem…
À Monte-Carlo, le caricaturiste se balade entre l’Hôtel de Paris et son prestigieux café, et dans les salles historiques du Casino. Il nous entraîne avec lui dans les coulisses de ce monde privilégié au temps de la Belle Époque. Son imagination y foisonne pour offrir à son public ses plus grands chefs-d’œuvre. Aujourd’hui, ce passé semble s’animer sous nos yeux émerveillés, posés sur ces albums un peu jaunis par le temps, mais qui, imprégnés par tant d’émotion, parlent à nos cœurs… comme si on y était ! n
Cet article a été écrit en collaboration avec Dominique Bon, Responsable du Fonds Régional. Les documents sont consultables au Fonds Patrimonial de la Médiathèque de Monaco sur rendez-vous.