Boris de Schloezer : Lumière sur un intellectuel méconnu
Dans l’ombre du monde artistique
Né en Russie le 8 décembre 1881, Boris de Schloezer est plongé dans le milieu artistique dès sa plus tendre enfance. Son oncle, pianiste et sa mère, musicienne éveillent très vite les goûts musicaux du jeune Boris. De nombreux récitals et concerts sont donnés chez ses parents et à cette occasion, Boris fera la connaissance du célèbre compositeur russe Alexandre Scriabine qui épousera sa soeur, Tatiana.
Passionné par tous les arts, Boris de Schloezer étudie la littérature et la philosophie entre la Russie, Bruxelles et Paris. En pleine révolution bolchévique, il s’installe définitivement à Paris en 1921. Il évolue alors dans le milieu artistique et littéraire, rencontrant le musicien russe Sergueï Prokofiev qui l’introduit à la Revue Musicale d’Henri Prunières dont il sera de 1921 à 1923 secrétaire de rédaction, et qui le mènera à collaborer dans de nombreuses revues russes et étrangères de littérature et de musique.
Alors qu’il entre dans la cours des grands critiques musicaux, il publie en 1923 son premier ouvrage sur Alexandre Scriabine. Parfaitement bilingue, Boris de Schloezer se passionnera pour la traduction des plus grands ouvrages russes. Il introduit en France l’œuvre du philosophe Léon Chestov, Léon Tolstoï ou encore Fiodor Dostoïevski et sera toute sa vie fasciné par Nicolas Gogol dont il écrit une biographie en 1932, rééditée en 1969. En tant que philosophe, ce passionné de lettres, de musique et d’art se laissera inévitablement entraîner par la quête du sens de l’œuvre musicale. Il développera sa pensée esthétique avec un premier essai sur Igor Stravinsky et s’y reprendra en 1947 avec son “Introduction à J.S. Bach” qui marquera fortement les esprits des jeunes compositeurs et le fera connaître en tant qu’essayiste.
Autour de la biographie de cet éternel curieux, à la pensée foisonnante, un mystère restera entier : Boris de Schloezer n’a jamais été célèbre. Dans son dernier roman « Mon nom est personne », publié l’année de sa mort en 1969, l’étonnante personnalité de cet immense intellectuel émerge. Au cœur et en lien avec le monde artistique du XXe siècle, Boris de Schloezer est toujours resté dans son ombre, marqué par une profonde modestie aussi forte que l’influence qu’il pouvait avoir auprès des plus grands artistes de son temps. Jean Starobinski, dans l’une de ses lettres écrites à son épouse et Marina Scriabine, disait que « son intelligence et son amitié, comme un beau feu clair, nous éclairaient tous. Nous étions nombreux à nous sentir ses enfants spirituels(…) Son exigence nous conduisait vers le plus net, le plus pur, dans l’esprit du gai savoir (…). Sa présence sereine et son amitié, que l’âge n’entamait pas, nous donnaient la certitude de la vie de l’esprit (…). Il restera toujours, à l’intérieur de nous, notre premier lecteur, celui à qui nous destinions le meilleur de notre effort ».
Un fonds passionnant et foisonnant
Le fonds Boris de Schloezer reflète sa personnalité éclectique marquée par une curiosité intellectuelle jamais satisfaite. Autour de 2 800 documents, l’intense vie du critique, traducteur et écrivain s’anime sur ses correspondances, ses notes, ses photographies et ouvrages dédicacés. Boris de Schloezer entretenait des échanges épistolaires avec intellectuels et artistes. Yves Bonnefoy, Edgar Morin, André Gide, Jean Starobinsky, André Souris, Jules Supervielle, Benjamin Fondane, Marc Chagall, Léon Chestov, Jonh Cage, Michel Vinaver...à travers plus de 1000 lettres, les échanges sont passionnants et mettent en lumière la générosité, l’humilité mais aussi l’éminente autorité du critique. Nombre d’auteurs le sollicitent pour avoir son avis et aussi ses corrections. Aujourd’hui ce fonds est régulièrement consulté par des chercheurs du monde entier.
À la rencontre d’un personnage aussi mystérieux que fascinant
Le rendez-vous est pris avec la Médiathèque de Monaco les 6 et 7 mars prochains aux Ateliers des Ballets de Monte-Carlo. Ce lieu de création sera idéal pour accueillir et présenter la vie d’un humaniste passionné et respecté par le monde intellectuel de son temps en étant souvent resté dans les coulisses de la création. À l’image de la variété d’univers disciplinaires qui émerge de ses correspondances, en partenariat avec les Rencontres Philosophiques de Monaco et les Ballets de Monte-Carlo, ce colloque s’emparera de la philosophie, de la danse, du théâtre et de la poésie pour présenter l’« hypersensibilité artistique » d’un homme qui a toujours été fasciné par la nouveauté. Un témoignage émouvant mettra en lumière une disponibilité permanente pour les autres et une capacité extraordinaire à faire émerger des âmes d’artistes. Le dramaturge Michel Vinaver évoquera sa fabuleuse amitié avec Boris. Il fera une lecture de leurs échanges épistolaires aux côtés de sa fille, Delphine Grinberg, présente pour l’occasion. Alors à peine âgé de 20 ans, c’est Boris de Schloezer, de presque 50 ans son ainé, qui l’encouragera à poursuivre sur la voie de la création littéraire. Autour de rencontres, tables rondes, récital, le colloque mettra aussi en lumière de nombreux documents d’archives inédits pour lever le voile sur cette personnalité fascinante aux multiples facettes.